MY O'BE MAG N°5

A budding talent, break the rules, BE strong ! ...

Quel est le coup de cœur artistique de My O’BE du mois de Mars ?

Ce mois-ci My O’BE met à l’honneur Satya Cipta, une formidable jeune artiste balinaise qui a grandi au sud de l’île de Sumatra. Lorsqu’elle décide de venir s’installer à Bali avec son mari et sa fille, elle va imposer un style, mais surtout ses idées. La richesse de ses œuvres vient de son ouverture d’esprit et de sa prise de recul par rapport aux codes de la vie balinaise. Elle est un des talents les plus prometteurs de sa génération et est déjà sollicitée par les plus grands amateurs d’art. Nous avons eu la chance de faire sa connaissance lors de sa dernière exposition nommée « A budding talent » (l’émergence d’un talent) au Musée Puri Lukisan, à Ubud.

Pourquoi avez-vous choisi cette artiste ?

Tout d’abord nous sommes heureux de compter, parmi notre sélection d’artistes, une artiste féminine. Même si beaucoup ont du talent, il y en a relativement peu qui arrivent à s’imposer au sein d’une société balinaise encore très conservatrice. Satya est très moderne dans sa façon de penser. Elle a su imposer un style mais surtout, ses idées. Elle bouleverse les codes de la société balinaise en osant remettre en question la place de la religion hindouiste ou celle de l’homme et de la femme. Ses idées font l’effet d’une bombe lancée dans la culture traditionnelle balinaise.

C’est donc une artiste visionnaire avec un franc-parler, une vraie chance de l’avoir dans votre collection ?

Absolument ! C’est une forme d’art balinais totalement inédit, qui suscite de nombreux débats et fait couler beaucoup d’encres auprès de ses admirateurs, mais également ses détracteurs, qui voient l’émergence de son talent comme dérangeant. D’autre part, on aime sa signature artistique si particulière et qui consiste à combiner différentes techniques de peinture qu’elle maîtrise parfaitement, telles que l’aquarelle, le wet and dry (peinture mouillée sur tableau sec) et le Batuan (courant de peinture issu du village Batuan et consistant en des formes crayonnées sombres).

Est-ce une prise de partie pour ses idées que de la promouvoir ? Une affirmation féministe ?

Au-delà de ses idées qui sont les siennes et que nous respectons, nous admirons sa force de caractère. Satya Cipta fait partie de ses femmes, en apparence fragile, timide et presque effacée, mais qui révèlent toute leur force de penser et leur profondeur d’esprit à travers leur art, en l’occurrence la peinture pour Satya. Pour ce qui est du féminisme, nous préférons parler de féminité qui est abordée de façon libre, sans tabous. Cette artiste aime, par exemple, aborder le sujet de la sexualité dans ses œuvres, mais sans défier la gente masculine. Ainsi, son œuvre nommée « Touch » (en vente sur le site my-obe.com) montre deux corps enlacés, masculin et féminin, qui inspirent la beauté du toucher au-delà du rapport sexuel.

Satya Cipta interviewée par Clotilde Canova

L’incroyable fête de Nyépi … le jour du silence à Bali. Fête qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde !

 

Chaque religion ou culture du monde entier a sa propre façon de célébrer leur nouvelle année. Les occidentaux ouvrent la nouvelle année en réjouissances. En revanche, les balinais la commencent en silence.

C’est ce qu’on appelle la journée de Nyépi, le jour balinais du silence, qui tombe le jour suivant la lune noire de l’équinoxe de printemps, et ouvre une nouvelle année de l’époque hindoue de Saka.

Nyépi dure un seul jour mais tout un rituel se fait avant et après selon le principe suivant :

Melasti (3 jours avant Nyépi)

Melasti,  cérémonie qui vise à nettoyer toute la nature et son contenu, et aussi à prendre l’Amerta (la source de la vie éternelle) de l’océan ou d’autres ressources en eau (lac, rivière). Trois jours avant Nyépi, toutes les effigies des Dieux de tous les temples du village sont emmenées à la rivière durant des cérémonies longues et colorées. Là, ils sont baignés par le Neptune du Seigneur balinais, le Dieu Baruna, avant de retourner dans leurs sanctuaires. Parallèlement, les balinais terminent le confection de leurs monstres géants pour la parade de la veille du jour de Nyépi.

Monstre géant confectionné pour la parade.

Tawur Kesanga (1 jour avant Nyépi)

Exactement un jour avant Nyépi, tous les villages de Bali tiennent une grande cérémonie d’exorcisme sur la route transversale du village principal de chaque ville, le lieu de rencontre des démons. Ils font généralement ce qu’ils appellent Ogoh-Ogoh : des monstres fantastiques géants confectionnés durant de nombreux jours. Ces monstres symbolisent les esprits maléfiques entourant notre environnement et qui doivent être débarrassés de nos vies. Ils sont portés par les balinais sur un radeau de bambou (le Butha Kala). Les carnavals eux-mêmes sont tenus partout Bali après le coucher du soleil. Bleganjur, une musique de gamelan balinaise accompagne la procession. Certains monstres sont des géants tirés de la tradition balinaise classique. Tous ont des crocs, des yeux bombés et des cheveux effrayants et sont illuminés par des torches. La procession est généralement organisée par la Seka Teruna, l’organisation de jeunesse de Banjar. Quand Ogoh-Ogoh est joué par le Seka Teruna, tout le monde profite du carnaval !

Les monstres géants représentent les esprits maléfiques …
Les balinais déambulent dans les rues et secouent les démons posés sur le radeau.

Le jour J : Nyepi

Le jour de Nyépi lui-même, chaque rue est calme et tout le monde arrête ses activités quotidiennes. Il y a généralement le Pecalang (homme de sécurité balinais traditionnel) qui contrôle et vérifie la sécurité de la rue. Sa tâche principale est non seulement de contrôler la sécurité, mais aussi d’arrêter toutes les activités qui perturbent Nyépi. Aucun trafic n’est autorisé, non seulement les voitures, mais aussi les gens, qui doivent rester dans leurs propres maisons. La lumière doit être éteinte ou maintenue à un minimum,  la radio, la télévision et internet sont interrompus. Plus rien ne fonctionne ! La ville doit sembler être morte pour la raison suivante: les démons fuiront l’île si ils pensent que tous les gens en sont partis et pour cause, ce qu’ils aiment par dessus tout, c’est perturber les humains !

Ngembak Geni (le jour après Nyépi)

Ngembak est le jour où les sociétés hindous font des activités de lecture SlokaKekidung, Kekawin, etc (scripts anciens contenant des chansons et des paroles) pour poursuivre leur introspection et rester en famille.

Enfin, rencontre avec l’illustre sociologue français, Jean Couteau, vivant à Bali depuis 45 ans et marié à une Balinaise. Il décrypte pour nous les dessous de la culture de l’île des Dieux …

 

Éminemment respecté sur l’île des Dieux et personnage incontournable dans le domaine artistique, Jean Couteau signe les préfaces des œuvres d’artistes les plus connus en Indonésie. Ses dernières publications sont entièrement dédiées à Satya Cipta pour son talent et la qualité de sa peinture. Une technicité prodigieuse et un univers unique, riche de sens.  Nous sommes fiers de la compter parmi les artistes de notre galerie d’art et Jean Couteau nous a donné les clés pour analyser les messages véhiculés par Satya via sa peinture.

 

La rencontre avec Jean Couteau nous a permis de voir les principaux points de divergences entre nos sociétés occidentales et Bali. Pour vous, nous avons listé quelques grandes particularités totalement uniques et propres à cette culture via le regard critique de cet homme dont la culture balinaise n’a plus aucun secret :

-Nous pensons que les balinais sont hindouistes depuis longtemps, mais cela est en fait une grande nouveauté … En effet, depuis des générations, les familles balinaises prient selon les croyances de leurs ancêtres dont le fondement repose sur la croyance en divers Dieux, tels que le Dieu de la montagne ou encore le Dieu des eaux.  C’est une nouveauté que de prier selon des croyances vraiment hindouistes.

-Le bouddhisme à Bali est une pure création et imagination de nos sociétés et de leurs agences de voyage. En effet, les bouddhas se trouvent certes dans les  hôtels et autres lieux touristiques, mais la majorité des balinais ne sont pas bouddhistes.

-La femme aura  très peu d’autonomie dans son désir amoureux. Beaucoup de suicides liés au refus des familles d’accepter, dans certains milieux (chez les brahmanes en particulier), que des jeunes gens de statut social différent puissent se marier. Il y a à la fois libéralisation des contraintes traditionnelles dans certains milieux et cristallisation idéologique de ces mêmes contraintes dans d’autres.

-L’amour balinais est particulier : Comme le dit Jean Couteau « L’amour balinais n’est pas romantique, mais pragmatique ». L’idée est de faire des enfants pour assurer l’existence de générations futures. Il faut savoir que le désir est toujours réprimé …

-Rester célibataire jusqu’à un âge adulte avancé, voire pour toujours, si pour pour bon nombre d’occidentaux c’est un choix réfléchi, aux yeux des Balinais c’est une damnation. Les filles et les garçons de l’île bénie des Dieux sont d’une très naturelle impatience à imiter Sang Hyang Widhi Wasa, le dieu suprême balinais, de condition androgyne, en devenant une seule et même entité. L’union est perçue comme une fusion absolue, symbole d’élévation spirituelle, de complétude physique et psychique, permettant d’accéder au divin. Le “septième ciel” à Bali c’est de convoler à hauteur du sommet du volcan Agung, la résidence des Dieux, et de devenir à deux un petit monde, “buana alit”, dans le grand monde, “buana agung”.

-Si une femme infortunée donne naissance à des jumeaux garçon et fille (kembar buncing), le village tout entier tombe sous la malédiction d’un « sort d’enfant », manak salah, comme est appelée cette terrible calamité. « L’union incestueuse » du frère et de la sœur dans le ventre de leur mère est une faute qui ne peut être annihilée que par les exorcismes les plus complets et les plus problématiques. Souvent, il est demandé au parent de confier un des deux enfants à un autre membre de la famille (oncle, tante, grands-parents etc…)

-Les jeunes Balinaises ne traînent pas dans la rue au village, contrairement aux garçons, et quand elles ont à se déplacer, c’est souvent en groupe, afin d’éviter les problèmes. Ces codes sont implicites d’un certain ordre des choses où la jeune femme doit être protégée. Il faut savoir que si une jeune femme est violée, le violeur peut réparer l’outrage si il épouse sa victime.

-Les balinais sont très tolérants envers toutes les religions et très accueillants. C’est d’ailleurs l’une de leurs caractéristiques principales quand on arrive sur l’île. La gentillesse et le sourire des balinais envers les étrangers sont indéniables. Toutefois, un balinais ou une balinaise qui désirerait se marier avec un occidental, aura une certaine forme de courage. En effet, il y a un racisme ordinaire, qui ne représente pas un discours structuré comme en Occident, mais qui est bien réel. Tout cela ne peut être supporté que pour l’argent et l’ascension sociale qu’implique un tel mariage. Comme le souligne Jean Couteau, « nos sociétés occidentales sont infiniment plus tolérantes »…

-Les Balinais ont un principe de vie simple : ce qui nous arrive là, maintenant, s’explique par les dettes à payer sur notre vie passée.

Nous pourrions poursuivre la liste des anecdotes concernant la culture balinaise. En effet, cette liste n’est pas exhaustive. L’important est de retenir que, derrière la grande ouverture d’esprit apparente, il y a un poids des traditions et des croyances qui est omniprésent et très lourd à porter.

L’artiste Satya Cipta, que nous présentons dans notre galerie, dénonce cette forme d’hypocrisie. Cela est très courageux de sa part et totalement inédit.

 

 

I ketut Budiana, Satya Cipta et Jean Couteau                                ŒUVRES DE SATYA CIPTA